Quand le 6 juin 2001 Ariel Sharon remporte les élections en Israël c’est le commencement d’une nouvelle et longue période de bouleversements qui se succèdent au rythme d’agressions tantôt ciblées ou plus généreusement collectives et généralisées. Israël a donné carte blanche à Sharon pour qu’il réalise son objectif ; circonscrire les palestiniens dans des zones géographiques éclatées, les plus petites possibles, isolées entre elles et sous le contrôle israélien.
Le chef de guerre Sharon n’a pas été élu pour faire la paix avec les Palestiniens.
Ce guerrier atypique relevait plutôt de la compétence d’un tribunal de justice international, ou de droit commun (pour quelques affaires de pots de vin de quelques milliards de dollars).
Criminel de guerre pour les uns, chef de guerre pour les autres, mais personne ne pense sérieusement qu’un jour on pourra dire de lui qu’il a été un « homme de paix ». Le soutien inattendu de Shimon Perès a renforcé l’ambiguïté. Cependant le chemin de Damas de Shimon Perès lui a ouvert un boulevard de légitimité dans la gauche européenne et chez les intellectuels. Cette caution va désormais couvrir d’un épais rideau de fumée toutes les outrances barbares de la guerre coloniale.
Exécuteur de basses oeuvres pour tous ceux qui nourrissent la même haine sans oser se prononcer. N’a-t-il pas été élu pour accomplir ce qui a toujours été sa volonté : anéantir la vie civile Palestinienne au prix du maximum de dégâts, de meurtres, d’humiliations. Dans un rapport de force qui oppose la plus grande puissance militaire de la région appuyée par les Etats-Unis à un peuple aux mains nues réduit à des attentats désespérés. L’Europe déploie son impuissance comme elle a déjà commencé il y a un demi siècle. Dénonciations, enquêtes, résolutions, témoignages n’y ont rien fait. Le monde a laissé faire. Un demi siècle de dénis de justice, juste quelques sermons (Résolutions de l’ONU) pour la pure forme. Quiconque à un peu d’éthique éprouve aujourd’hui colère et consternation.
Ou est le droit international ?
Le chef de guerre Sharon a toujours enfermé les Palestiniens dans une boîte de Pandore où de toute évidence quel qu’en soient les circonstances, le mot "palestinien" sera mis en symétrie avec celui de "terroriste", le mot "conflit" avec celui de "religion". Tous les attentats dirigés contre les civils qu’ils soient juifs ou musulmans peuvent, à juste raison, choquer. Mais choquante aussi est la passivité du monde face aux causes qui génèrent cette violence. La contradiction qui oppose les deux parties depuis plus d’un demi siècle c’est l’occupation criminelle au quotidien, la colonisation de la Palestine, l’absence de souveraineté pour les Palestiniens. Il suffit d’un coup d’oeil sur les cartes pour comprendre à quoi s’est employé Israël tout au long des douze années du processus de paix : exproprier, étendre les colonies, occuper le terrain, construire un réseau routier reliant les colonies interdisant de fait les déplacements des Palestiniens sur leur propre sol.
En un demi siècle un seul dirigeant Israélien a vraiment essayé de faire la paix, Ytzhak Rabin, et il l’a payé de sa vie, victime d’une campagne orchestré par la droite et l’extrême droite israélienne. La paix vaincue rendue au chef de guerre se transformera en leurre, en véritable faire valoir politique pour les dirigeants qui suivront.
La disparition d’Ariel Sharon contrairement à celle d’Ytzhak Rabin ne laissera pas de grand vide ni d’espoir de paix en berne.
Le chef de guerre Sharon aura incarné pendant un demi siècle mieux que personne le sionisme radical, par sa détermination à coloniser. Dès la création de l’Etat d’Israël, il s’est identifié tant au but qu’à la nature de celui-ci. « Le futur Etat sioniste doit être fort, de caractère impérial et glorieux pour mieux refléter la supériorité du peuple élu de dieu sur les autres peuples... » (1er congrès sioniste à Bâle en 1897. Extrait de Les temps modernes, Jean Paul Sartre, 1967, N°253bis).
Le Chef de guerre Sharon mettra en pratique les principes fondateurs du sionisme sur le transfert des populations inaugurées par la guerre de 1948 qui verra jusqu’à 80% de la population palestinienne d’alors chassée de sa propre terre par les méthodes conjuguées de massacre et terreur. Sa popularité, il l’a doit à une promesse « finir le travail que la guerre de 48 a commencé ». Cet argument fait de lui un faucon, ennemi de la paix, partisan de la seule manière forte.
Déjà en 1953 il s’illustre dans l’unité 101 qu’il dirigeait par le dynamitage de 40 maisons du village de Qibiya. On dénombrera 69 morts retrouvés sous les décombres. L’invasion du Liban en 1982 révèle aux yeux du monde une entreprise de destruction massive dirigée par un général en chef d’une armée peu conventionnelle qui pour parvenir à ses fins n’hésite pas à utiliser des méthodes qu’on peut assimiler à la barbarie. Ariel Sharon en chef de guerre aguerri bafoue les règles et les conventions internationales en livrant les populations civiles des camps de Sabra et Chatilla désarmées aux phalanges libanaises. Ce héros de toutes les guerres d’Israël aurait ordonné, planifié, transformé les camps de Sabra et Chatilla pour la circonstance en une immense souricière improvisée pour empêcher la fuite de ses habitants, et à l’aide de fusées éclairantes il guidera les pas des assassins, ses alliés libanais qui pendant trois jours et trois nuits se livreront au massacre de 2000 personnes. Ces milices se délecteront des souffrances les plus viles, coupant les doigts à l’aide de sécateurs, démembrant et éparpillant les corps en morceaux. Dans cet enfer pas un seul bruit de mitraillette, tout à l’arme blanche dans le silence des cris.
En Israël une commission d’enquête statuera sur le limogeage du ministre de la défense Ariel Sharon alors qu’il avait atteint le sommet de la reconnaissance pour les faucons. Il fut sacrifié aux intérêts et aux mensonges d’un état qui lui ressemblait tant.
Le style Sharon,
Le singulier « Boucher de Beyrouth »après avoir subit une période de placard sans rémission effectuera à la surprise de tous un retour aux affaires. Tout au long des années 90 dans divers ministères. Septembre 2000 restera une date importante pour ces fait d’armes, la provocation qu’il organise sur l’esplanade des Mosquées déclenchera la deuxième intifada. La répression qui va suivre avec des milliers de victimes lui vaut un premier satisfecit de la part du grand frère Bush 2001. Le style Sharon se fait à nouveau désirer, les stratagèmes utilisés par Israël pour torpiller la paix ne font plus recettes. C’est alors que Sharon le baroudeur extrémiste est élu premier ministre au grand Dam des progressistes du monde entier pour poursuivre son oeuvre au présent pour un avenir sans mémoire.
Son retour lui vaut le soutien inconditionnel d’intellectuels français (pas du tout égarés), ceux-là même qui vingt ans auparavant vilipendaient le baroudeur réactionnaire en prédateur ethnique. Le 11 septembre 2001 est une date lourde de conséquence pour la paix dans le monde. Tout sera désormais instrumentalisé pour aider Israël dans son entreprise de démolition. Le chef de guerre désormais premier ministre peut alors en toute impunité dans une opération qu’il nommera ’jour de pénitence’ avec des moyens considérables se lancer dans la destruction de toutes les institutions palestiniennes ainsi que les infrastructure, les écoles, les hôpitaux, les puits, le réseau routier... pour réduire à néant l’économie palestinienne déjà rendue exsangue par des années de répression et d’occupation militaire.
C’est une guerre coloniale avec pour décor tous les artifices et sur le terrain une disproportion des forces qui ferait hurler dans un autre contexte géostratégique « tous les démocrates des pays démocratiques ».
Il est difficile d’imaginer comment après tant de folies dévastatrices et meurtrières tant d’aveuglement puisse à ce point museler l’histoire. La guerre coloniale si difficile à nommer par les observateurs et les médias est pourtant la maladie originelle et centrale de ce conflit. Cela explique aussi pourquoi des nostalgiques s’acharnent à ressortir la colonisation des poubelles de l’histoire pour réhabiliter cet esprit insidieux qui enseigne que l’ordre des choses et la civilisation passe par la domination et par la force brute. Et non la liberté ni la fraternité et encore moins l’égalité.
La politique des USA aujourd’hui coïncide en tous points de vue avec celle d’Israël, et c’est aussi celle là qui se profile à l’horizon de 2007 en France avec Sarkozy si nous nous contentons d’attendre car lui n’attend pas. En décembre dernier il a organisé à Paris une rencontre avec le ministre de la sécurité publique et le préfet de police israélien. En effet, notre ministre est très intéressé par une coopération étroite entre les forces de police des deux pays, préoccupé par les émeutes des banlieues et en prévision d’autres révoltes sociales et populaires futures, il compte bénéficier de l’expérience et du savoir faire israélien en la matière. Ça promet !
Illusionniste de paix
La dernière grande représentation de l’illusionniste Sharon c’est le désengagement d’Israël de la bande de Gaza. Cet effet d’annonce empoisonné a suspendu le souffle de tous les commentateurs politiques complaisants et trompé beaucoup d’autres. Dans une manip copié/collé les médias se sont empressés de faire état de la générosité de Sharon et de nous faire avaler la métamorphose du général « pacifiste ». Au plus fort de cette embellie le mur a cependant continué d’avancer en annexant d’autres terres pour de nouvelles colonies en Cisjordanie. Gaza libérée est réduite à une vaste réserve d’indigènes enfermés par des murs et des barbelés que l’armée israélienne attaque maintenant de l’extérieur ou par les airs. Ces attaques visent des bâtiments civils, les blessés sont nombreux et les morts journaliers ne font la une d’aucun quotidien.
Le mur d’annexion : une attraction iconoclaste.
Ce mur d’une prison toujours plus étroite, tel est le projet qui n’en finit pas d’exister dans un rapport de force qui est à l’avantage des architectes de cette aberration.
Le 9 juillet 2004, la Cour Internationale de Justice juge le mur illégal, sa construction doit cesser, les parties construites doivent être démolies, les actes législatifs et réglementaires pris par Israël le concernant doivent être abrogés, les destructions occasionnés par son érection doivent être remises en état et Israël doit indemniser les victimes de cette construction. Bien entendu il n’en sera rien.
Le 13 juin 2005 l’état d’Israël a accédé à l’une des vices-présidences de l’Assemblée Générale des Nations Unies. Non seulement l’Etat d’Israël bafoue toutes les résolutions des Nations Unies votées depuis sa création mais en plus il est admis à siéger dans l’une des plus hautes instances de cette institution.
C’est l’histoire du sage qui montre la lune... c’est l’état voyou qui viole et piétine le droit édicté par les plus hautes juridictions des Nations Unies pendant que celles-ci regardent le doigt.
La ghettoïsation du peuple palestinien continue d’avancer contre toutes les leçons de l’histoire et autres devoirs de mémoire que rien ne vient troubler, pas même la prouesse de madame Clinton (en campagne pour les présidentielles américaine lors d’une visite en Israël) quand elle déclare avec fierté avoir réprimandé « la Cour Internationale de Justice pour avoir débattu du Droit d’Israël à construire la barrière » (mur de 8 mètres) et son refus de visiter les zones palestiniennes.
Tout le monde l’aura compris, ces déclarations d’intention ont pour objectif de séduire l’électorat juif aux Etats-Unis...
C’est pour les médias, sur fond de mur d’apartheid, les pieds dans la zone palestinienne occupées qu’elle pose pour une photo souvenir d’Israël.
Ce mur est un cancer qui ronge la Palestine. Tout a été programmé avec la minutie d’un expert obsessionnel qui mesure le temps en poids de souffrance pour contraindre les palestiniens à l’exil forcé, mais volontaire, une forme de transfert si cher au premier ministre d’un peuple frappé d’amnésie.
L’intifada est venue rappeler au monde des vérités premières : Israël dans sa vérité nue est un état occupant, colonial et raciste qui depuis sa création n’a jamais montré un signe d’apaisement, excepté lors de la période Rabin.
Les illusionnistes de la paix gagnent toutes les batailles de la communication en bottant en touche, au nez et à la barbe du monde impassible, toutes les résolutions internationales avec tous les palestiniens en les réexpédiant pour la n-ième fois à la case départ.
« La bible est plus forte que toutes les cartes politiques... » Sharon, le Figaro, 22/07/05.
L’état d’Israël rêve depuis sa création du jour où il recouvrira toute la Palestine. C’est manifestement se rêve qui rend la paix si improbable. En un demi-siècle tout a été tenté pour effacer la Palestine : des livres d’histoire, des cartes de géographies amnésiques en attestent avec récurrence , les villages rasés pour en gommer la trace, les spoliations, les expulsions. Tout a été tenté pour rendre impossible une coexistence de droit entre les deux peuples.
La communauté internationale quant à elle est réduite au rôle de yoyo. Pourtant l’instabilité de cette situation laisse inaugurer d’autres perspectives aux conséquences imprévisibles...
La victoire électorale du Hamas élu sur un programme (la réforme et le changement)
Cette victoire reflète le sentiment majoritaire chez les Palestiniens d’en finir avec l’impasse politique dans laquelle les maintient Israël. Loin d’être une adhésion aux thèses de cette organisation, beaucoup d’électeurs faute d’alternatives politiques ont fait le choix de ce qui pour eux représente une rupture avec l’échec de la démocratie du système Arafat, la corruption de l’autorité palestinienne et son immobilisme.
Les électeurs ont fait le choix de ramener la politique à la problématique de l’occupation. Le climat démocratique (remarquable pour beaucoup d’observateurs) dans lequel se sont déroulées les élections ainsi que la forte participation semble indiquer le choix de la majorité du Hamas à privilégier le terrain de la politique. L’arrivée du Hamas au gouvernement était une étape malheureusement prévisible, mais ce n’est pas pour autant le séisme auquel nous préparaient les médias. Israël a tout fait pour en arriver là. Il s’y est appliqué pendant les années de négociations bidons en discréditant l’Autorité Palestinienne. La manipulation de l’information n’a pas manqué de se déchaîner qui de Tel Aviv à Washington dans un pas de deux annonçait la catastrophe : « il n’y a plus de partenaires pour la paix », « Le processus de paix est en danger ».
C’est comme si le monde émergeait d’un long sommeil commencé en 1993 avec le processus de paix, ignorant tout de l’assassinat de Rabbin et la reprise en main par les faucons. Les trois fossoyeurs de paix qui se sont succédés - Netanyahou, Barak, Sharon - que rien ne semble unir sinon qu’ils ont sauvé Israël de la paix. Sharon a été celui qui porta le coup de grâce avec la provocation sur l’esplanade des mosquées qui lui valu de gagner les élections et le sinistre ralliement de Shimon Perès, grande figure de la gauche Israélienne.
Peut-on aujourd’hui occulter que la paix est morte avec l’assassinat d’Yitzhak Rabin.
La France avec les mots affectés par la raison politicienne s’est déclarée préoccupée par le succès du Hamas et s’est dite prête à suspendre toutes les aides aux Palestiniens. C’est avec d’autres mots affectés par la raison économique qu’elle s’apprêtait à adhérer aux thèses etasuniennes. Aujourd’hui elle fait volte face. Il semble qu’elle veuille suivre l’exemple de la Russie qui veut rencontrer le Hamas après qu’il ait invité la communauté internationale au dialogue et à la compréhension.
La page Sharon n’est pas encore tournée en Israël
Avec la fin politique de Sharon un sentier est a nouveau ouvert pour l’exploration d’une nouvelle alternative politique sur la question palestinienne : sortir du sionisme radical et catastrophique influencé par les faucons en Israël et aux U.S.A, sortir des incertitudes ; quel avenir pour la région que l’après Sharon pourrait imaginer. Une alternative sociale ? Comme le suggère le futur candidat travailliste Peretz.
Pour sortir de ce marasme des voix discordantes se font l’écho des organisations anti-guerre (Mouvement de la Paix, Pacifistes, Insoumis...). Le courage de leurs engagement ne nous laisse pas insensible et force notre admiration : Yitzhak Rabin (nous ne le citerons jamais assez) l’a payé de sa vie. Cela nous montre le danger que représente la Paix pour ce pays où le pouvoir judiciaire et le pouvoir politique se confondent avec le caractère officiellement confessionnel de l’Etat (Hébreu). Un pays qui soumet les conventions internationales aux textes sacrés. Un pays qui entérine une justice expéditive extra-judiciaire et illégale. Un pays qui justifie les assassinats politiques comme des mesures préventives et légitimise la torture.
Les élections dans quelques semaines seront une occasion pour que l’opinion israélienne se ressaisisse et se dresse contre ces indignités qui témoignent de la barbarie d’Etat.
Après les élections palestiniennes et la victoire du Hamas, les Palestiniens se prononcent à 84% favorables à un règlement de paix avec Israël. Les Israéliens devront méditer sur cette volonté des Palestiniens d’en finir avec se conflit.
Il faut, comme dit Nelson Mandela, « avoir la conscience du fait que la Palestine est l’une des grandes causes morales de notre temps et qui exige d’être défendue comme telle. Il ne s’agit pas de marchander, de trouver d’habiles compromis ».
Luis Lera
AFPS Pau